Contrainte: écrire une histoire de (mauvais) voisinage, le public doit décider si elle est vraie ou pas; sablier: 45 minutes.
Pour nous, tout allait bien. La maison était grande, le jardin immense et les voisins, discrets, pratiquement inexistants. Quand vous avez longtemps vécu dans l’exiguïté de la ville, où vous avez intégré de vivre en sourdine – pas trop fort, la musique, et l’oreiller sur la bouche pendant l’orgasme – l’arrivée à la campagne a une dimension libératoire. Bien sûr, on avait perdu la vibration du Niederdorf, les bars comme une extension de notre salon, les invitations de nos amis hyperactifs à leurs vernissages, à leurs courts-métrages, à leurs happenings, comme on dit en bon zurichois.
On se retrouvait “enfin seuls”, on souriait du cliché, c’était diablement romantique de s’éloigner du monde pour se consacrer à nous deux. La maison n’était pas à nous, bien sûr, mais l’oncle de Thomas nous la louait à prix famille et avec quartier libre pour la retaper. Ce n’était plus vraiment une ferme, on referait le rez d’abord, et puis le jardin, ensuite on verrait.
On s’y est mis la fleur au marteau. Thomas savait tout faire, on n’a pas pris d’architecte et la nécessité d’un permis de construire ne nous a même pas effleurés. Le week-end, Steve et Simon venaient nous aider et là, on faisait la gros-oeuvre. Je n’ai jamais été tant manuelle et là, défoncer les parois de la cuisine à la masse, ça a été le kif total. On mettait la playlist de Steve à fond, du Züriwest et du Stereo Total et on hurlait par dessus la scie électrique “uh uh uh uh, ich liebe Liebe zu dritt”.
Les travaux n’avançaient pas très vite, on s’est planté sur la pose du parquet et il a fallu tout décoller, les lattes une à une. Mais c’est devenu la teuf chaque weekend, les amis des amis nous ont rejoint, on bricolait les matins et dès 15h, on allumait un feu d’enfer avec les déchets et on y mettait des marshmallows. Une fumée noire montait de notre verger comme un appel de Sioux à venir passer l’été dans notre auberge de bobos zurichois.
Uster, c’est la campagne, mais pas vraiment rase. Les Berling d’à-côté, les Schmiedheini et les Hehli, je le reconnais, ils ont serré les dents assez longtemps. Ils auraient pu dire un mot mais non. C’est ça, les Suisses allemands. C’est un mardi que Thomas et moi avons reçu le courrier de la commune, un de ces jours où on était seuls dans notre petite maison, à cultiver notre intimité après les excès du weekend. La commune nous convoquait pour enfreinte au règlement sur la conduite des travaux et nuisances sonores et environnementales. Les voisins de cauchemar, en fait, c’était nous.
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